La Communication haute en couleur

Expressions colorées est un blog bilingue sur l'art, la traduction et le jardinage.


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Colourful Language

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Un petit paradis caché dans la banlieue

Un petit paradis caché dans la banlieue
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Au sujet de ce blog

L'art, la peinture, l'illustration et le jardinage, et puis deux langues : l'anglais et le français - autre que l'intérêt personnel que j'y porte, y a-t-il un rapport réel entre ces activités apparemment si diverses ? Je m'interroge sur cette question depuis la création de ce blog, qui présente mes pensées et mes réactions non seulement à mon travail comme traductrice mais aussi aux autres activités auxquelles je consacre mon temps. Naturellement, ces intérêts et ces compétences correspondent à mes expériences personnelles : ce sont les compétences que j'ai acquises au fur et à mesure sans toujours savoir vers où je me dirigeais, et que d'ailleurs je continue à développer. Sont-elles trop variées pour un seul blog qui devrait se concentrer sur un contenu unique ? C'est possible mais elles sont peut-être liées par autre autre chose que le hasard ?

En ce qui me concerne, étudier une langue, la peinture, et désormais le jardinage, me permet d'entrer en contact avec les gens dont je n'aurais pas autrement eu l'occasion de faire la connaissance. Ainsi, je me demande si ce qui lie mes intérêts les uns aux autres est moins ma participation que la communication résultant de ces activités. Considérer par exemple le dicton anglais "say it with flowers " qui nous encourage à s'exprimer avec des fleurs. Certes, il s'agit d'une forme d'expression, voire une langue, bien adaptée à ces gens censés être à la fois si réservés et si passionnés pour l'horticulture que sommes nous les Anglais ! On peut donc conclure que le jardinage facilite la communication humaine. De même pour toute activité qui permet aux gens de s'exprimer, de se réunir autour d'un intérêt commun, de partager leurs idées et leurs expériences. Ainsi pour le sport (une autre activité que je pratique avec enthousiasme!) qui est toujours un bon prétexte pour se rencontrer, fédérer nos efforts et éprouver du plaisir par notre participation commune. Le rapport entre toutes ces activités est donc réel : toutes ces occupations sont la preuve d'un emploi constructif du temps qui permet de créer quelque chose de positif, de participer à quelque chose plus grand que chacun de nous : à une communauté.

De surcroit, le jardinage tout comme l'art mais aussi l'écriture et la traduction, nous permet d'apporter un peu de couleur (dans un sens littéral ainsi que métaphorique) à nos vies. Faute de cette expression humaine la vie serait... monotone. D'ailleurs, ces activités donnent du plaisir aux gens ; elles les font sourire ! Y a-t-il une meilleure recette pour entamer une conversation qu'avec un sourire ?

Enfin, quand j'explique ce que je fais dans la vie (ce qui m'est difficile puisque aucun chapeau ne me sied parfaitement car en plus de mon activité de traductrice, je m'exprime aussi avec un pareil engagement à travers d'autres activités) quand j'explique ce que je fais, faut-il que je dise que "je suis communicatrice" ou, sans vouloir être trop prétentieuse, "technicienne de la communication" ! Sûrement je ne suis pas seule dans ce cas. Si vous aussi vous avez du mal à vous catégoriser mais vous appréciez la communication quelle que soit sa forme et vous savez communiquer, faites-moi le savoir car communiquer, quelle que soit la langue, c'est écouter autant que parler !

PS : A ceux dont l’œil perçant a pu remarquer les différences qui se sont glissées dans les versions anglaises et françaises de mes textes, à ces personnes-là je dis : non seulement je traduis mais parfois j'aime m'exprimer aussi en anglais qu'en français. Bien entendu, traduire et s'exprimer, ce n'est pas tout à fait la même chose.

dimanche 23 novembre 2008

L'Immoraliste de Gide

L'Immoraliste est disponible en ligne à :
http://www.ebooksgratuits.com/ebooks.php
Extrait de L'Immoraliste (1902) par Gide
Du début de chapitre IV
D'abord la version originale et puis, en orange, ma traduction.

"Marceline, cependant, qui voyait avec joie ma santé enfin revenir, commençait depuis quelques jours à me parler des merveilleux vergers de l’oasis. Elle aimait le grand air et la marche. La liberté que lui valait ma maladie lui permettait de longues courses dont elle revenait éblouie ; jusqu’alors elle n’en parlait guère, n’osant m’inciter à l’y suivre et craignant de me voir m’attrister au récit de plaisirs dont je n’aurais pu jouir déjà. Mais, à présent que j’allais mieux, elle comptait sur leur attrait pour achever de me remettre. Le goût que je reprenais à marcher et à regarder m’y portait. Et dès le lendemain nous sortîmes ensemble.

Elle me précéda dans un chemin bizarre et tel que dans aucun pays je n’en vis jamais de pareil. Entre deux assez hauts murs de terre il circule comme indolemment ; les formes des jardins, que ces hauts murs limitent, l’inclinent à loisir ; il se courbe ou brise sa ligne ; dès l’entrée, un détour vous perd ; on ne sait plus ni d’où l’on vient, ni où l’on va. L’eau fidèle de la rivière suit le sentier, longe un des murs ; les murs sont faits avec la terre même de la route, celle de l’oasis entière, une argile rosâtre ou gris que le soleil ardent craquelle et qui durcit à la chaleur, mais qui mollit dès la première averse et forme alors un sol plastique où les pieds nus restent inscrits. – Par-dessus les murs, des palmiers. A notre approche, des tourterelles y volèrent. Marceline me regardait.

J’oubliais ma fatigue et ma gêne. Je marchais dans une sorte d’extase, d’allégresse silencieuse, d’exaltation des sens et de la chair. A ce moment, des souffles légers s’élevèrent ; toutes les palmes s’agitèrent et nous vîmes les palmiers les plus hauts s’incliner ; - puis l’air entier redevint calme, et j’entendis distinctement, derrière le mur, un chant de flûte. –Une brèche au mur ; nous entrâmes.

C’était un lieu plein d’ombre et de lumière ; tranquille, et qui semblait comme à l’abri du temps ; plein de silences et de frémissements, bruit léger de l’eau qui s’écoule, abreuve les palmiers, et d’arbre en arbre fuit, appel discret des tourterelles, chant de flûte dont un enfant jouait. Il gardait un troupeau de chèvres ; il était assis, presque nu, sur le tronc d’un palmier abattu ; il ne se troubla pas à notre approche, ne s’enfuit pas, ne cessa qu’un instant de jouer. Je m’aperçus, durant ce court silence, qu’une autre flûte au loin répondait. Nous avançâmes encore un peu, puis : « Inutile d’aller plus loin, dit Marceline ; ces vergers se ressemblent tous ; à peine, au bout de l’oasis, deviennent-ils un peu plus vastes… Elle étendit le châle à terre : -Repose toi. »
Combien de temps nous y restâmes ? je ne sais plus ; - qu’importait l’heure ? Marceline était près de moi ; je m’étendis, posais sur ses genoux ma tête. Le chant de flûte coulait encore, cessait par instants, reprenait ; le bruit de l’eau… Par instants une chèvre bêlait. Je fermai les yeux ; je sentis se poser sur mon front la main fraîche de Marceline ; je sentais le soleil ardent doucement tamisé par les palmes ; je ne pensais à rien ; qu’importait la pensée ? je sentais extraordinairement… Et par instants, un bruit nouveau ; j’ouvrais les yeux ; c’était le vent léger dans les palmes ; il ne descendait plus jusqu’à nous n’agitait que les palmes hautes.

Le lendemain matin, dans ce même jardin je revins avec Marceline ; le soir du même jour j’y allai seul. Le chevrier qui jouait de la flûte était là. Je m’approchai de lui, lui parlai. Il se nommait Lassif, n’avait que douze ans, était beau. Il me dit le nom de ses chèvres, me dit que les canaux s’appellent séghias ; toutes ne coulent pas tous les jours, m’apprit-il ; l’eau, sagement et parcimonieusement répartie, satisfait à la soif des plantes, puis leur est aussitôt retirée. Au pied de chacun des palmiers un étroit bassin est creusé qui tient l’eau pour abreuver l’arbre ; un ingénieux système d’écluses que l’enfant, en les faisant jouer, m’expliquer, maîtrise l’eau, l’amène où la soif est trop grande."

"Le clown et le flûte" de Chagall

"For the last few days however, Marceline, who was watching with joy my health finally return, had started talking to me about the wonderful groves of the oasis. She loved the fresh air and walking. My illness had provided a certain liberation leaving her free to go for walks from which she returned elated. Up until then she had said very little about this, fearing that I might be tempted to follow her or be disheartened by her talk of pleasures that, as yet, were still beyond me. But now I was getting better she was relying on the appeal of these excursions to complete my recovery. I was being carried along by my renewed enjoyment of walking and watching. The very next day we went out together.

She led the way along a strange path the like of which I had never seen before in any country. The path ambles its way indolently between two fairly high terracotta walls that borders gently sloping gardens ; from the start it twists and turns and sometimes it seems to just stop ; a deviation will soon cause you to go astray and you no longer know where you have been or where you are going. Always close, the river skirts one of the walls, which are made with the same earth as the road and the oasis as a whole : a pinkish-grey clay that the blistering sun causes to crack, that hardens in the heat but then softens again with the first drop of rain when it becomes soft and malleable enough for naked feet to leave their imprints. – Above the walls, palm trees. Our arrival causes turtledoves to take flight. Marceline looked at me.

I forgot my fatigue and my discomfort. I was walking in a state close to ecstasy almost, of quiet joy, of exaltation of the flesh and the senses. A light breeze was picking up, stirring the palm trees and we watched as the tallest of the palms swayed backwards and forwards. Then the air became calm again and I could quite distinctly hear the sound of a flute coming from behind the wall. – A gap in the wall tempted us in.

It was a place full of light and shade ; a tranquil place where time stood still. A place full of the sound of silence, rustling, streams quietly watering the palms, and, escaping from one tree to the next, the discreet cooing of turtledoves. A child was playing a flute. He was tending a herd of goats. He was sitting down, almost naked, on the trunk of a fallen palm tree. As we approached, he didn’t get up. He didn’t run away. Only for a moment did he stop playing his flute.
During this short silence, I noticed that another flute could be heard answering in the distance. We went further into the grove, then Marceline said : “There’s no point in going any further, the groves all look the same, maybe they get a bit bigger near the end of the oasis.” She spread the shawl out on the ground. “Rest a while.”

How long did we stay there ? I don’t know – what did time matter ? Marceline was at my side ; I lay back and rested my head on her knees. The flute music flowed once more, stopping for a moment here and there before starting again ; the sound of water… From time to time a goat bleated. I closed my eyes ; I felt Marceline’s cool hand resting on my forehead ; I felt the hot sun gently filtered by the palms ; I wasn’t thinking of anything ; why bother thinking ? I felt extraordinarily… Then, from time to time, a new sound ; I opened my eyes ; a light wind too high to disturb us, played with the tops of the palms.

The following morning, I returned to the garden with Marceline ; then later that same evening, I went back alone. The goatherd boy who had been playing the flute was there. I went up to him, spoke to him. He was called Lassif ; he was only 12 ; he was beautiful. He told me what his goats were called ; he told me that the canals are called séghias ; the water didn’t flow every day, he told me. Water was distributed wisely and parsimoniously : just enough to quench the plants’ thirst and then it was switched off. Each tree had a narrow trough hollowed at its base to hold the water it needed. And, an ingenious system of sluices, with which the child toyed as he explained its workings to me, controlled and directed the water to where the thirst was greatest."
Lithographie de Chagall

2 commentaires:

Hannah Barnes a dit…

Un correspondant vient de m'interroger sur les "deux Marcelines" présentent dans la première phrase de ma traduction de cet extrait de l'Immoraliste par Gide (il n'y en a qu'une dans la version originale). Il ne s'agit pas d'une faute de frappe. J'ai réitéré le nom de Marceline afin de résoudre le problème posé par la longue insertion (sur la joie que ressent Marceline devant le rétablissement de son mari) qui éloigne le sujet de son verbe. Une décision risquée, peut-être, surtout venant si près du début de l'extrait où elle est plus visible. Mais j'ai décidé de l'admettre puisque Michel a tendance à mettre en jeu les répétitions et les anaphores lors de ses discours.

D'ailleurs, plus loin à la fin du troisième paragraphe, je me permets d'écarter de l'original quand je propose "a gap in the wall tempted us in" comme traduction de "Une brèche au mur ; nous entrâmes". Encore une fois il s'agit d'un choix réfléchi. Me permet-je trop de liberté ici ? Peut-être mais je trouve que beaucoup de la sensualité de ce texte réside dans l'emploi d'une langue à la fois "clairsemé" et extrêmement équivoque. Je lis actuellement une nouvelle traduction du texte de Gide par David Watson, sortie dernièrement par Penguin. La traduction convient mais beaucoup de la sensualité et les allusions voilées et controversées à la sexualité renaissante du narrateur, sont parties « au lavage » (pour ainsi dire) de cette traduction qui actualise beaucoup du langage et, en ce faisant, élimine beaucoup des sous-entendus. Par exemple, je constate que dans cette version Penguin, le traducteur traduit « enfant » et « garçon » en « lad ». Le problème avec « lad » est qu’il connote un mâle de 8 à 80 ans. Le garçon n’est plus un enfant ! C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de décrire le chevrier (un garçon de 12 ans) comme « beautiful » ; dans la version française il est qualifié de « beau » que la version Penguin traduit (correctement au niveau sémantique) comme « handsome ». A mon avis, « handsome » tout comme « lad » convient à des hommes de tout âge alors que « beautiful » évoque l’enfant, des garçons de jeune âge ou des jeunes hommes efféminés et, venant de la bouche d’un homme qui décrit un garçon et dans le contexte de ce roman, est plus équivoque. C’est précisément cette ’ambiguïté qui n’est plus présent dans la traduction de Watson qui est à regretter car alors qu’il s’agit d’une belle prose, parfois très lyrique comme cet extrait, je crois, en témoigne, une lecture attentive de L’Immoraliste nous permet de, au moins, comprendre pourquoi le roman de Gide a tellement choqué ses contemporains tandis qu’aujourd’hui, le passage du temps semble avoir désamorcé cet aspect du texte.

Hannah Barnes a dit…

Après avoir affiché ce commentaire j'ai décidé d'apporter quelques modifications à ma traduction, ce qui n'aurait pas échappé à l'attention des lecteurs attentifs !