par Marc Chagall
L'extrait de L'Immoraliste par Gide que j'ai traduit (voir ci-dessous) retrace un moment charnière dans le récit du narrateur. Celui-ci nous raconte comment il a pris conscience de la renaissance de son être sensuelle suite à sa longue maladie.
Evoquant les premières sorties qu'il a pu réaliser lors de sa convalescence, Michel relate sa découverte des jardins à Biskra cachés aux regards par les hauts murs de cette ville en Algérie où il séjourne avec sa femme. Guidé par celle-ci, il déambule le long des petits chemins de la ville. Un trou dans le haut mur qui flanque le sentier leur permet d'apercevoir un paysage luxuriant qui les séduit, les poussant à faire détour. Leur curiosité est bien normale. La verdure du verger tranche sur la stérilité de la terre et des murs de boue desséchés qui enferment les sentiers de la ville ; la palmeraie est une véritable oasis - c'est un endroit de beauté et de calme ; un endroit de répit et de rétablissement pour les sens autrement atrophiés par l'ordinaire.
Le jardin doit être le symbole éternel et par excellence de la renaissance et du rajeunissement moraux. D'ailleurs, enfermé ici par les hauts murs de la ville, il s'agit d'un endroit à l'abri du regard inopportun et indiscret de l'Autre et... de sa censure. Ne s’agit-il pas, pour cette raison, de la représentation même du ventre de la Mère ? Et Michel s'y retire ! S'y allongeant a même le sol il ferme ses yeux afin de s'isoler du monde - il s'éloigne même de sa femme. Il se replie sur soi-même écoutant à nouveau ses sens, son cœur. Il se laisse bercer par, et s'enivre des bruits des roucoulements des tourterelles, du gazouillement du ruisseau, et, dans les hauts des arbres, du bruissement d'un léger vent qui se fait l'écho de l'émoi que ressent Michel devant la renaissance de sa sensualité. Désarmé par son repos et ses contemplations, il est envouté par le son harmonieux d'une flûte dont joue un chevrier. Ses inhibitions ainsi adoucis, Michel succombe au délice de son réveil spirituel et sensuel.
Quelques heures plus tard, Michel est de retour à l'oasis mais sa femme n'est plus là. Il retrouve le chevrier qui continue à l’enchanter, cette fois-ci par ses explications sur ses responsabilités par rapport à ses animaux et à la palmeraie. Lassif n'a que 12 ans mais il s'occupe bien des bêtes et des plantes sous sa charge : il sait protéger et calmer les animaux, apaisant et étanchant leur soif ainsi que celle des arbres, mais seulement quand le besoin le nécessite.
Ce n'est pas difficile de comprendre la polémique qu'a incitée L'Immoraliste lors de sa première parution : Michel fait le récit d'un lieu paradisiaque où des enfants, à titre de bergers, font office de guide et semblent voués à leurs charges. Le moins que l'on ne puisse dire est que les inférences déconcertent. De surcroit, l'image charmante d'un enfant qui joue de la flûte dans un paysage bucolique doit être métaphorique et ce à plusieurs niveaux : dans un premier temps elle évoque l'innocence, mais aussi l’enchantement et l'apaisement des sens et par extension la séduction, la tentation, et même la transgression éventuelle. Le chevrier de L'Immoraliste, représente-t-il le Serpent dans le jardin ?
Mettant de côté la polémique, quand je lis le récit que fait Michel de son rétablissement je ne peux pas m'empêcher à penser aux paysages de Marc Chagall, par-dessus tout à la série de lithographies sur Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé, la légende mythique qui raconte comment l'idylle que vivent ces deux enfants-bergers est contrariée par toutes sortes d’obstacles qu'ils doivent surmonter.
Les 42 lithographies de ce série par Chagall peuvent être consultées à :
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